John Dewey : un inspirateur des droits culturels ?

20 avril 2021. Publié par Benoît Labourdette.
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La notion de « droits culturels » est de plus en plus présente dans les débats au sein du secteur culturel. Ils sont envisagés par beaucoup comme étant au cœur des enjeux et des processus de mutation du domaine de la culture. Mais ils font polémique, leur définition même ne fait pas consensus, ni leurs modalités de mise en œuvre. A mon sens, les droits culturels visent à mettre en évidence et formaliser, pour pouvoir les rendre opérants, les principes d’une « démocratie culturelle ».

De mon point de vue, qui est celui d’un praticien/chercheur dans le champ culturel, les droits culturels sont avant tout une pratique, un exercice de la démocratie dans les méthodes mêmes d’organisation du travail, du rapport à l’autre et de la place de chacun.e, dans les choix de programmation, dans les méthodes de médiation et d’animation d’ateliers, dans les modalités d’inscription territoriale de la politique culturelle, etc.

La pensée se met en pratique, et la pratique fait penser. Mais il est bien difficile d’aligner sa pensée et ses pratiques. Je trouve chez le philosophe John Dewey de très opérants outils de « pensée pratique », qui, personnellement, nourrissent mes méthodes de travail. Voilà pourquoi j’ai souhaité mettre en partage une très courte biographie et une citation de John Dewey :

John Dewey (1859-1952) est un philosophe pragmatiste américain, qui place l’expérience comme axe central dans la construction de la pensée et de la démocratie. Il eut une très grande influence dans la première moitié du XXe Siècle, dans la politique, la psychologie, la philosophie et la pédagogie (Célestin Freinet, par exemple, se réclamait de la pensée de Dewey). Puis il fut oublié, considéré comme trop optimiste.

Les idées de John Dewey reviennent sur le devant de la scène depuis le début des années 2000. Elle constituent à mon sens des outils précieux pour accompagner la mise en œuvre de systèmes de coopération humains efficients : dans son livre Le public et ses problèmes (1927), il postule qu’aucun système politique ne peut fonctionner s’il n’est pas capable de se remettre en question en profondeur au fur et à mesure des expériences. Dans son ouvrage L’art comme expérience (1934), il avance que l’art est d’abord et toujours une expérience vécue, partagée, et non pas un objet externe et supérieur :

On identifie généralement l’œuvre d’art à l’édifice, au livre, au tableau ou à la statue dont l’existence se situe en marge de l’expérience humaine. Puisque la véritable œuvre d’art se compose en fait des actions et des effets de ce produit sur l’expérience, cette identification ne favorise pas la compréhension.

Je trouve John Dewey inspirant car, à l’opposé des quêtes de « bons principes », sa démarche soutient la légitimité de méthodes d’expérimentation concrètes et agiles, qui me semblent les plus adaptées aux actions, culturelles notamment, dans notre monde incertain et en évolution permanente, du fait des bouleversements liés au numérique, des mutations écologiques, et autres. Cette agilité me semble nécessaire pour que la culture puisse être l’un des outils incarnés d’une démocratie vivante.

Les « droits culturels », qui découlent de la Déclaration universelle des droits de l’homme, sont un concept développé et défendu par des chercheurs, sociologues, philosophes, responsables politiques et acteurs du monde culturel. Présents dans un certain nombre d’articles de loi depuis 2001, les droits culturels visent à mettre en évidence et formaliser, pour pouvoir les rendre opérants, les principes d’une « démocratie culturelle ». Pour le synthétiser rapidement, il s’agit que chaque personne puisse donner à ses propres yeux de la valeur à sa culture personnelle, afin d’être en capacité d’exercer sa citoyenneté : s’exprimer, défendre son point de vue, créer, développer ses pratiques, avoir accès à une diversité culturelle, etc. Les droits culturels opèrent dans un champ bien plus vaste que celui du strict secteur culturel.

La notion de « droits culturels » est présente en France dans les lois NOTRe (2015) et LCAP (2016). Elle est portée par une délégation du Ministère de la Culture (Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle, depuis le 1er janvier 2021).

Les droits culturels sont paradoxalement difficiles à mettre en œuvre dans le secteur culturel, qui est traditionnellement plutôt attaché à la « démocratisation culturelle » : on y défend souvent l’idée de la transmission aux publics d’œuvres d’art de la meilleure qualité possible, selon un principe de hiérarchie de « valeurs culturelles ». Ainsi, les droits culturels peuvent être vécus par certains professionnels de la culture comme une dynamique dangereuse pour l’Art, une tendance vers les pratiques amateur, ce qui n’est pas le cas.

Dans mon point de vue, qui est celui d’un praticien/chercheur dans le champ culturel, les droits culturels sont avant tout une pratique, un exercice de la démocratie dans les méthodes même d’organisation du travail, du rapport à l’autre et de la place de chacun.e, les choix de programmation, les méthodes de médiation et d’animation d’ateliers, le mode d’inscription territorial de la politique culturelle, etc.

Je propose dans cette rubrique des méthodes de travail concrètes pour des bonnes pratiques de mise en œuvre des droits culturels, basées sur mes expériences de terrain, ainsi qu’un partage de réflexions plus théoriques, dans le cadre de ma propre recherche sur les droits culturels.

Je me situe dans la filiation de penseurs comme John Dewey. Mais les droits culturels ne sauraient être présentés sans citer Patrice Meyer-Bisch, Jean-Michel Lucas, Christelle Blouët, la « Déclaration de Fribourg », etc.