Vers l’expérience culturelle

20 mai 2020. Publié par Emmanuel Vergès.
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Dans la construction des propositions culturelles, centrer l’attention vers l’expérience vécue et partagée. Court essai sur la philosophie de l’action et sur la fonction de l’art.

Les travaux de Benoît Labourdette, entre Par ma fenêtre et les projections de rue, me font penser en permanence aux travaux de John Dewey qui considère l’art comme une expérience. « Tant que l’art sera le salon de beauté de la civilisation, ni l’art ni la civilisation ne seront sûreté » (John Dewey, « L’art comme expérience », Éditions Folio, p549 - Texte de 1934). Ils permettent d’explorer une piste à la fois conceptuelle, méthodologique et très pratique, de ce que l’art peut devenir dans le #jourdapres, dans un monde où les situations et les formes de la construction culturelle et sociale se transforment, un monde plus numérique, à distance, divers et multiples, mondial, en réseau...

Pendant le confinement, nos pratiques artistiques et culturelles se sont développée avec un recours massif aux écrans, aux plateformes et à des logiques d’offres, souvent gratuites. Ce confinement est l’occasion aujourd’hui que l’on adapte les conditions de la diffusion des œuvres à ces situations modernes.

Et si c’était le moment d’arrêter de penser la diffusion ou l’offre, et de parler de l’importance de l’expérience et de ce qu’elle permet de construire comme culture, et comme société. Privilégier une expérience sensible, agile, pleine de pirouettes et de chemins buissonniers, aventurière, collective, solidaire. Avec cette idée en fond que les publics ne sont ni usagers ni clients, mais profondément acteurs culturels, destinataires et producteurs de culture avec des outils et des dispositifs, eux-mêmes culturels, qui permettent un « devenir auteur » en lien avec nos Droits culturels, et mettent « l’intelligence dans les périphéries » en repensant toute la médiation et l’intermédiation culturelle actuelle. Qui permettent peut-être cette idée folle que l’expérience collective d’un moment de culture nous conduise à faire œuvre ensemble ? A coopérer ? Ce confinement, moment que l’on a toutes et tous vécu néanmoins de manière très diverses, est un point de bascule pour proposer des alternatives pragmatiques à une ubérisation des conditions de production de l’art et a une netflixisation de la diffusion, par la construction, à partir de chaque lieu de culture, de conditions collectives d’expériences de l’art.

« L’expérience, lorsqu’elle atteint le degré auquel elle est véritablement expérience, est une forme de vitalité plus intense. [...] Au lieu de signifier l’abandon au caprice et au désordre, elle fournit l’unique manifestation d’une stabilité qui n’est pas stagnation mais mouvement rythmé et évolution. L’expérience est la forme embryonnaire de l’art. »

(John Dewey, « L’art comme expérience », Éditions Folio, p 54 - Texte de 1934)

emmanuel vergès est ingénieur culturel à L’office et auteur à Marseille, ainsi que co-directeur de l’Observatoire des politiques culturelles.

À quoi sert la culture ? Va-t-on retourner autant qu’avant la crise du Covid-19 dans les lieux culturels et pour quelles raisons ? Faut-il repenser les propositions culturelles pour les adapter ? Mais les adapter à quoi et comment ? Ce sont des questions fondamentales qui se posent aujourd’hui et demain aux acteurs du domaine culturel (comme de bien d’autres domaines). Depuis le premier confinement lié à l’épidémie du Covid-19 en mars 2020 et pendant les deux années suivantes, de nombreuses initiatives et alternatives à distance ont été inventées. La pratique culturelle d’après Covid-19 est déjà et continuera à être bien différente de celle d’avant. Il me semble important de faire des propositions innovantes aux publics, c’est à dire adaptées, dans leur forme et leur contenu, à une réalité nouvelle.

La culture est facteur de lien, c’est l’essence de la cohésion sociale, et il a même été prouvé que c’est aussi une composante importante de la santé. La culture, c’est ce bien commun que l’on partage et qui nous construit. La culture vivante post-crise du Covid-19 (confinements et autres incohérences législatives autoritaires, restrictions de libertés, discriminations, culture de la peur de l’autre, manipulation de masse, mensonges des États, soumission à l’autorité...) devra être plus inclusive, moins surplombante, plus inventive, plus agile, plus coopérative, la participation et la place des personnes étant à nouveau au centre des enjeux, et ce dans la plus grande exigence artistique et démocratique.

Vous trouverez ici des propositions concrètes d’actions culturelles antifragiles aux crises, souvent autour de l’audiovisuel et du numérique, expérimentales ou qui ont déjà fait leurs preuves, ainsi que des outils de réflexion pour la « mise à jour » des politiques culturelles.