« Culture, jeunesse et numérique » : concevoir des nouvelles modalités de projets culturels et éducatifs

19 novembre 2022. Publié par Benoît Labourdette.
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Déconstruire les idées reçues sur la transformation digitale et développer des projets adaptés à la jeunesse.

L’offre culturelle est parfois questionnée de façon brutale par le public « jeune ». Une remise en cause qui se manifeste notamment par une indifférence vis-à-vis des prescriptions des institutions culturelles, voire par un désintérêt pour les lieux culturels. En 15 ans, le numérique a par ailleurs bouleversé le rapport des jeunes, et de tou·te·s, au temps et à l’espace privé. La définition même de la culture et son mode d’accès se sont transformés.

Pour se mettre en capacité de repenser des projets adaptés aux besoins réels de la jeunesse contemporaine, ce qui relève de la mission des politiques culturelles, il convient à mon sens tout d’abord de déconstruire nos idées reçues, les jugements que l’on peut avoir sans connaître. Il s’agit de prendre la mesure des nouvelles représentations du monde et des nouvelles pratiques culturelles étroitement liées au numérique.

Comment faire ? Je crois que passer par le « faire », justement, est une voie très riche pour les professionnels. Éprouver par sa propre expérience les enjeux des pratiques culturelles à l’ère numérique, en participant à des ateliers avec des jeunes, en « jouant » avec les technologies digitales, en explorant de nouveaux dispositifs de coopération, etc., dans le but de dépasser ses critères habituels, pour pouvoir être enrichi par les idées et usages de la jeunesse. Il ne s’agit pas de démagogie, mais de tissage de liens, qui permet la transformation mutuelle, l’hybridation créative.

Proposition méthodologique

Un cheminement personnel pour avancer sur la voie de l’innovation culturelle pourrait être décomposé en trois phases, non pas successives, mais dialoguant entre elles. Car il s’agit à mon sens de « penser l’action », ou de « penser autrement dans l’action », en tous cas de ne plus distinguer la pensée de l’action :

  1. Connaissances : approfondir ses connaissances sociologiques, technologiques, artistiques, culturelles, conceptuelles, par des lectures et échanges : s’informer.
  2. Méthodes : découvrir et expérimenter des méthodes d’action culturelle et pédagogique qui sortent des sentiers battus devenus galvaudés et inopérants, via des partenariats inédits, improbables et souvent déstabilisants ; se déplacer.
  3. Projets : concevoir autrement des projets et leurs critères d’évaluation, travailler à l’écoute des expériences des autres professionnels pour s’enrichir par les pairs, envisager un accompagnement plus attentif et informé des artistes, intervenants et partenaires ; oser et assumer les « essais-erreurs ».

Dans cet esprit, nous avons expérimenté avec l’Observatoire des politiques culturelles en 2022 la première édition d’une formation que j’ai animée intitulée « Culture, jeunesse et numérique », avec 16 stagiaires, qui fut très enrichissante pour les participant.e.s. Nous organisons la deuxième édition de cette formation en mars 2023.

Le dispositif pédagogique a été pensé pour impliquer les participant·es dans un processus créatif destiné à leur faire éprouver des outils et une expérience du « faire ». La formation est menée dans un esprit contributif, facilité par une plateforme numérique dédiée. Son animation est proposée à dessein en distanciel, pour envisager, au sein du groupe, des formes de coopération réinventées.

L’approche pédagogique pluridisciplinaire permet de s’approprier des notions complexes, notamment sur les technologies numériques et leurs usages. Cette formation est destinée à des professionnel·es et élu·es du champ culturel, social et éducatif, qu’ils/elles soient familier·es ou non des enjeux digitaux.

Résumé du programme

Voici un résumé du programme de cette formation, qui je l’espère peut être inspirant, au-delà de la formation elle-même. Si vous souhaitez m’adresser des idées et suggestions, elles sont les bienvenues (benoit benoitlabourdette.com).

1. La jeunesse, ses droits et la pédagogie : connaissances et analyses
Analyser en profondeur les usages des nouvelles technologies par les publics jeunes, afin de dépasser des a priori sur les pratiques des jeunes. Il s’agit de mettre ses connaissances « à jour », pour pouvoir ensuite accompagner les pratiques, les usages, les droits des enfants et des adolescent·e·s, notamment en élaborant des propositions mixtes présentiel / distanciel.

Liste non exhaustive d’axes d’approfondissement de connaissances :

  • Les technologies et les usages numériques.
  • Enjeux philosophiques et politiques dans le monde numérique.
  • Psychologie et sociologie de la jeunesse.
  • Pratiques culturelles de l’enfance à l’adolescence.
  • Droits culturels.

2. Les institutions et les méthodes
Se donner les moyens, grâce à l’exploration de méthodes concrètes, de concevoir des stratégies, des projets et des services culturels en direction de la jeunesse en travaillant de façon transversale et intersectorielle.

Suggestions de méthodes à explorer :

  • Enjeux de médiation et projets d’éducation artistique et culturelle.
  • Du bon usage des outils numériques et du web.
  • Mobilisation des jeunes publics.
  • Dynamiques de coopération.
  • Dispositifs publics et méthodologies de projets.
  • Mise en pratique des droits culturels dans les méthodes de travail.

3. Les projets et leur évaluation
Inventer des cas concrets et des mises en œuvre de projets. Travailler à construire des argumentaires pour présenter un projet et le défendre auprès de partenaires, d’élu·e·s et de collaborateur·trice·s. Aborder la question très importante de l’évaluation des résultats de son action, en mobilisant des indicateurs qualitatifs et partagés.

Pistes de travail :

  • Veille, échanges, études et partages de cas d’école.
  • Projets mixtes présentiel/distanciel.
  • Dialectique entre projets de médiation et projets de création.
  • Élaboration de projet.
  • Méthodes d’évaluation des projets.

La « politique culturelle » est une tradition d’État en France depuis le Moyen-Âge. Elle a été initiée par Louis XIV au 17e Siècle comme un outil d’influence et de pouvoir. Et elle fut définie dans ses termes actuels par André Malraux en 1959, l’État ayant désormais pour mission la démocratisation de l’art dans la société. Mais aujourd’hui les politiques culturelles sont multiples, car portées par les collectivités publiques à d’autres niveaux que celui de l’État (villes, agglomérations, départements, régions) et à bien d’autres endroits, notamment associatifs (lieux et actions culturelles), individuels (les initiatives des artistes, professionnels ou amateurs) et par des sociétés privées (commerce de la culture).

La « révolution numérique », c’est à dire l’accès ubiquitaire, personnalisé et transitif à l’information ainsi que la production par les pairs comme nouveau modèle, bouleverse de façon profonde les « règles » de mise en œuvre des politiques culturelles, que ce soit au niveau public ou privé, et met bien des acteurs en difficulté pour atteindre leurs objectifs. Je propose ici des outils de compréhension des enjeux de cette « révolution numérique » et des pistes de travail concrètes, en espérant apporter de la ressource utile au travail des politiques culturelles, dans tous types de contextes.